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En se substituant obligatoirement aux anciennes instances depuis le 1er janvier 2020, ces CSE ont-ils été, après 4 ans d’existence pour certains, plus efficaces pour le dialogue social que leurs ancêtres CE et CHSCT ? Regard d’expert d’Olivier Bailly d’Impact Études.

Le CSE a été institué par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 décembre 2017, dite « Ordonnance Macron » dans toutes les entreprises de plus de 11 salariés afin de fusionner, et donc remplacer, les précédentes instances représentatives du personnel (IRP) :

  • Le comité d’entreprise (CE),
  • Les délégués du personnel (DP),
  • Ainsi que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Cette fusion s’inscrit dans la poursuite de la logique initiée lors de la mise en place des DUP en 1993, puis étendue aux entreprises de moins de 300 salariés par la loi du 17/08/2015, dite loi Rebsamen, qui offrait déjà la possibilité de regrouper en une instance unique, DP, CE et CHSCT.

En se substituant obligatoirement aux anciennes instances depuis le 1er janvier 2020, ces CSE ont-ils été, après 4 ans d’existence pour certains, plus efficaces pour le dialogue social que leurs ancêtres CE et CHSCT ?

Il semble que, face à la pandémie, cette nouvelle transversalité des compétences du CSE a pu avoir des effets positifs. Quel bilan peut-on cependant en tirer en 2023, sachant que des dizaines de milliers de CSE sont renouvelés depuis 2022 ?

Le premier constat est que la bascule vers le CSE a accentué une tendance d’un manque de candidats, préexistant à 2017. En effet, pas moins de 48.932 procès-verbaux de carence totale ont été dressés sur la période allant de 2018 et 2020.

S’il n’y a pas de candidats, il n’y a pas de CSE…

Par ailleurs, si en théorie, l’ordonnance Macron semble offrir une liberté supplémentaire aux partenaires sociaux pour leur permettre de créer « leur CSE sur mesure » par accord Collectif, la réalité diffère sensiblement et entérine ce que de nombreux experts redoutaient, à savoir l’existence d’un écart encore plus flagrant d’une entreprise à l’autre en fonction de la capacité des représentants du personnel et des moyens dont ils disposent pour négocier.

L’objectif de rationalisation attendu, qui « devait faire gagner en efficacité » est altéré par l’asymétrie des possibilités d’actions des élus résultant d’une concentration et d’une centralisation des moyens.

Si la réduction du nombre de réunions, du fait de la diminution arithmétique des instances, représente, du point de vue des Directions, une amélioration, elle se traduit aussi par des réunions plus longues avec des ordres du jour plus denses.

De fait, les problèmes identifiés tiennent en partie à la capacité des élus à repérer, s’approprier, et traiter des sujets, et à les faire remonter. Ce n’est pas malheureusement l’introduction tardive et facultative (La loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques à ce mandat, contrairement à ce qui existait pour les Délégués du Personnel) des RP (Représentants de proximité), qui permet de pallier cet éloignement du terrain.

Ceci est particulièrement manifeste dans les entreprises multi sites où prolifèrent les ordres du jour à rallonge et dont la hiérarchisation des sujets laisse à désirer. Les élus devant désormais être multi-compétents doivent y consacrer davantage de temps et par conséquent s’éloigner du terrain.

La création de ces Représentants de Proximité était censée remédier à l’aspect centralisateur des CSE pour les organisations multisites, mais leur bilan reste plutôt mitigé.
En effet, la création de 8600 accords conventionnels, dérisoire face aux 81 300 établissements qui disposaient, en 2020, d’un CSE, n’est pas parvenu à dissiper l’inquiétude générée par la disparition des DP , à la fois pour les représentants du personnel mais aussi pour les Directions ; d’autant que l’on constate que « les réclamations présentées auparavant par les Délégués du Personnel (DP) ont du mal à trouver leur place dans les réunions, notamment parce que la loi a omis d’en déterminer les modalités dans les entreprises d’au moins 50 salariés ».

Par ailleurs, à ce jour, selon une étude du comité du rapport d’évaluation des ordonnances, seuls 25% des accords de CSE prévoient la désignation de représentants de proximité.

Il est possible, sans trop s’exposer, d’estimer que le recueil et la remontée d’informations issues du terrain est désormais moins fluide, plus complexe et plus parcellaire qu’elle ne pouvait l’être avec les DP. La nouvelle centralisation des rôles au sein du CSE suppose, sans le dire, l’existence d’une bonne synergie entre les différents acteurs de santé, et en particulier entre les élus et les managers de proximité, dont le rôle, certes capital, n’est que trop rarement encouragé. Par ailleurs, alors que ces derniers sont rarement bien formés aux enjeux du Dialogue Social, il est cependant attendu de leur part qu’ils s’en saisissent.

Un des objectifs attendus de cette fusion des instances aura été d’avoir la capacité de traiter, concomitamment et de façon transverse, différentes questions, en particulier celles relatives à la Santé et aux Conditions de travail et, pour les établissements de plus de 50 salariés, des questions économiques et stratégiques.

Cette « mutualisation des compétences » au sein d’une seule et même instance sollicite davantage les élus ; la nécessité de gagner en coordination étant davantage perçue comme une exigence supplémentaire. Le choix des mandats permettaient, par le passé, de se spécialiser dans la prise en charge de certains sujets (œuvres sociales, questions économiques, relations de proximité, questions de santé et sécurité, …) ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous faisons d’ailleurs le constat, dans notre pratique terrain du dialogue social (Expertise, enquête, formation), de la prévalence d’une forme de déport des questions de santé vers la CSSCT (Commission Santé Sécurité et Conditions de travail), quand cette dernière existe.

Le rapport sur l’évaluation des ordonnances « Macron », publié en décembre 2021 par France Stratégie, dresse un état des lieux mitigé de la réforme des institutions du personnel. Il pointe les difficultés rencontrées par les élus, que nous observons également sur le terrain, et souligne en particulier « l’adaptation très progressive, et parfois difficile, des partenaires sociaux au nouveau cadre légal », ainsi que le « besoin d’accompagnement et de formation des acteurs » lié à la « diversité des compétences attribuées au CSE ».

Les sujets deviennent ainsi, pour un même élu, plus nombreux, plus variés, plus techniques, accroissant par ailleurs le temps passé dans cette instance. Cette surcharge de travail peut également déboucher sur une fragilisation de l’engagement des élus, l’absence de participation régulière des suppléants aux réunions de CSE (Exception faite lors du remplacement des titulaires), par ailleurs moins bien associés au suivi des sujets, ne facilitant pas non plus la ventilation des compétences entre les élus.

Les constats faits sur le terrain sont par ailleurs corroborés par une étude faite à trois reprises depuis 2018 par le Cabinet Syndex, confirmant « un affaiblissement du poids des représentants du personnel face à celui de la Direction dans la nouvelle structure » ainsi « qu’une moins bonne prise en compte des enjeux santé au travail ».

Dans les faits, le changement de paradigme acté par la bascule vers le CSE représente une rupture majeure avec toutes les évolutions opérées dans les instances de représentation du personnel depuis 1945.

Ces améliorations avaient, notamment grâce aux lois Auroux qui ont créé les CHSCT en 1982, permis la montée en puissance de la prise en charge des questions de santé par les élus. L’arbitrage en faveur du CSE contredit ainsi les 30 ans de jurisprudences qui avaient permis de sanctuariser la nécessité de dédier des compétences spécifiques aux questions de santé, de sécurité et conditions de travail.

Le constat, fait en 2023, est que les difficultés inhérentes au passage vers le CSE, censé les résoudre, accentuent en fait des problématiques qui précédaient à sa création.

  • Un nombre d’heures de délégations en inadéquation avec les besoins réels des élus
  • Des réunions « fleuves »
  • Des instances utilisées comme chambres d’enregistrement des décisions de l’employeur,
  • Des élus insuffisamment formés
  • Des élus épuisés à force de jongler entre les questions économiques, sociales, de santé au travail, ou d’environnement
  • Des suppléants « largués sur les dossiers », faute de pouvoir assister aux réunions
  • Des délégués de proximité quasi disparus du paysage…
  • Une prévalence des question économiques sur les questions de santé

Ainsi, selon le Secrétaire Général d’un grand Syndicat Français, « La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Cet « en même temps » a fait une victime : la qualité du dialogue social ».

Alors que l’un des objectifs assumés du passage vers le CSE était de dynamiser le dialogue social, la réalité du terrain vient paradoxalement renforcer des usages « du passé » :

  • Le rétablissement d’un lien de proximité par l’intermédiaire des RP, sorte de sous-DP
  • La spécialisation des élus, par l’intermédiaire de l’usage qui est fait de la Commission SSCT*, la transformant en une forme « incompétente » du CHSCT

Ce dernier point fragilise les élus du CSE vis-à-vis de leurs prérogatives en matière de santé, sécurité et conditions de travail, ce que n’améliore pas le constat d’un déficit flagrant de formation des élus du CSE en matière de SSCT (Santé Sécurité Conditions de Travail), la question de l’Hygiène passant d’ailleurs à la trappe.
Comme le rappelle également un autre grand syndicat, sur la base d’une analyse faite par la DARES, le constat est aussi celui « d’éléments plus qu’alarmants sur l’implantation syndicale et la représentation du personnel » (constat d’une baisse du taux de couverture des entreprises par des IRP, ou un DS, alors que ce taux était stable par le passé).

Dans ce contexte d’affaiblissement du dialogue social, il apparait ainsi que dans les faits, les questions de santé, de sécurité et de conditions de travail sont les grandes oubliées du monde du travail actuel.

*Rappelons pour information que les CSSCT ne sont obligatoires qu’au-delà de 300 salariés et qu’à la différence des CHSCT, elles ne disposent pas de personnalité morale et ne peuvent donc pas recourir aux Experts.

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